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Interview #3 (2003)
Lhasa de Sela Unofficial Homepage
Cédric : Beaucoup d'internautes m'ont régulièrement demandé de tes nouvelles depuis l'ouverture du site en 1998, car tu as été médiatiquement très discrète durant ces dernières années. Pour résumer en quelques mots, que s'est-il passé à ton niveau durant cette période ?
Lhasa : En janvier 1999 je suis allée en France, travailler sur la création d'un spectacle avec mes trois soeurs - qui sont toutes des artistes de cirque - et trois autres amis, dans la compagnie "Pocheros". Il y a tout un mouvement de "nouveau cirque" qui est particulièrement actif en France, qui mélange les arts traditionels de cirque avec le théâtre et en général n'utilise pas d'animaux.
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On a travaillé comme des fous pendant six mois
pour créer le spectacle et après on l'a tourné, avec le chapiteau,
les caravanes, les enfants et les chiens ! C'est une vie qui est
très différente de la vie de tournée du musicien ; la famille est
là, on voyage lentement, il faut installer les caravanes, monter
le chapiteau et les gradins et les éclairages, tout cela fait qu'on
crée des racines dans chaque ville ou l'on joue. On peut
boire un thé chez soi cinq minutes avant le début du spectacle
!
Le spectacle a fini par être lent, un peu absurde,
et contemplatif… une de mes soeurs dansait sur un fil de fer avec
des talons aiguilles, une autre a fait un numéro de contorsion sur
une échelle, une autre a volé par dessus la piste dans un
bateau étrange avec une roue et il y avait un chien qui chantait
et un numéro d'équilibres dangereuses avec des tasses de
thé, un homme qui mangeait son propre cerveau et un homme qui jonglait
en se parlant en Danois. Moi, j'ai chanté dans ce spectacle, je
n'ai pas fait ni des acrobaties ni de la contortion !
Ensuite j'ai vécu un moment à Marseille
et je suis disparue dans la vie normale et personnelle.
Et j'ai écrit des chansons.
C : Tu es aujourd'hui distribuée en France
par le label " Tôt ou tard " (du groupe Warner) où
l'on trouve également nombre d'artistes francophones de qualité
très attachés à leur indépendance artistique. D'autres changements
sont-ils intervenus tant dans la production que dans la distribution
de tes albums ?
L : Ma compagnie de disques est toujours Audiogram,
un label indépendant Montréalais, et on a trouvé des compagnies
en Europe et Amérique pour distribuer les albums, Tôt ou Tard
en France, Warner pour l'Europe, Atlantic pour les
États Unis et l'Amérique Latine, mais ces multinationales ont des
gens dans chaque pays qui décident si ils veulent sortir
le disque sur leur territoire , et je crois qu'en Amérique Latine,
en Angleterre, en Espagne, et dans beaucoup d'autres pays, "La Llorona"
est disponible seulement en importation. Même aux États Unis il
est difficile à trouver je crois. La meilleure distribution est
au Canada et en France je crois.
C : Le succès de " La Llorona " a du avoir
de nombreuses conséquences dans ton rapport au quotidien et notamment
vis à vis des médias et des partenaires culturels ; j'ai même pu
constater l'apparition ton nom dans un rapport officiel concernant
l'industrie du disque au Québec. Toute cette pression est-elle difficile
à gérer ?
L : Tout le monde vit avec la pression et le stress.
Et de la même manière qu'une personne peut vivre dans un petit village
toute sa vie, et vivre un scandale, et se suicider parce qu'elle
croit que sa vie est foutue, sans se rendre compte qu'il y a encore
le monde entier à découvrir, sans penser qu'après un moment
plus personne se souviendra du scandale, de la même manière quelqu'un
qui est même un tout petit peu "célèbre" (comme moi
!) peut être tourmentée jour et nuit par toute sorte d'angoisse
et de la pression insupportable. Cela arrive quand on perd la perspective,
et ça arrive très facilement ! C'est difficile d'être serein.
C : Concernant la tournée de 1998, tu m'as
par ailleurs semblée extrêmement sensible et attachée à une relation
assez intime avec le public lors de ces concerts autour de " La
Llorona " ; en as-tu conservé des souvenirs marquants ?
L : Une tournée est une expérience très
intense et exigente…J'ai trouvé que ça prenait presque toute mon
énergie pour rester plus ou moins stable et donner des bons
spectacles. Le spectacle était la chose la plus importante, le centre
de mon existence quand j'étais en tournée, et en conséquence
mes souvenirs de la tournée sont d'une sorte de concentration constante.
Je gardais mon énergie pour le spectacle, toujours. Je créais
une sorte de bulle autour de moi pour me protéger. Cela m'a
rendue plus ou moins inaccessible à d'autres expériences,
rencontres, même à la beauté du pays ou je me trouvais. Je ne sais
pas si ce serait toujours comme ça, mais dans le passé c'est comme
ça que j'ai vécu la tournée. Alors l'intimité et l'intensité
des spectacles venait surement en partie de cette concentration
intense…
C : Dans cette série de concerts, beaucoup
de titres joués sur scène étaient totalement inédits. Certains d'entre
eux apparaîtront-ils sur le prochain album ?
L : Dans le spectacle il y avait plusieurs reprises,
comme la chanson sur Pancho Villa qui est traditionelle mais
que j'ai connu de Victor Jara, ou Volver a los 17
de Violeta Parra, ou la chanson russe tzigane que je chantais
en duo avec Yves, ou La Pistola y el Corazon que j'ai
connue de Los Lobos…Nous n'allons pas enregistrer ces chansons.
Mais les deux chansons que j'ai écrites en Francais et chanté
dans le spectacle de "La Llorona" seront probablement sur le prochan
album.
C : Ta rencontre et la collaboration avec Arthur
H, y compris au niveau de certains concerts de sa tournée ont-elle
influencé ta démarche artistique ?
L : Arthur est un ami et un artiste que
j'aime et que j'admire, et c'est inspirant de savoir qu'il y a des
gens qui sont en train de faire de la belle musique MAINTENANT dans
ce monde. Mais mon processus créatif, tel qu'il est, n'a
pas vraiment été influencé par personne, même par
Yves avec qui j'ai travaillé si longtemps. Le processus créatif
est quelque chose de très, très personnel, un mélange de perséverance
et déséspoir, d'accidents heureux et malheureux, de souvenirs, d'instinct,
et quelque chose d'autre, l'inspiration ?
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